vendredi

Les Belles Histoires de Père Costard (IV)

- Père Costard, Père Costard, racontes-nous une histoire !
- Tiens j'en ai une bonne à vous raconter, et celle-là elle est plutôt courte, pour une fois.
Alors voilà il fallait communiquer autour d'un superbe projet dont je me suis occupé pendant quelques temps. C'est pour un grand journal de l'entreprise. Il fallait faire une interview. Au début, ce n'est pas moi qui devais être interviouvé mais c'est toujours pareil, les journalistes, cela agace les collègues parce que c'est toujours pressé, alors on m'a refilé la corvée. Ceci dit, parler d'un sujet qui m'intéresse à un journaliste sympathique, voilà qui n'est pas pour me déplaire. Donc voilà, une collègue qui devait s'en occuper m'a dit :
- j'en ai parlé avec le Chef, il veut que cela soit toi.
- Ah bon, très bien ai-je répondu, et je fais quoi ?
- La Responsable de la Communication du Siège t'enverra un email
- bien bien, j'attends...

Et j'ai reçu le fameux email dès le soir. Il stipulait qu'il fallait que je donne immédiatement mes disponibilités pour répondre au journaliste. C'était un mardi. Je proposais donc tout le mercredi et tout le jeudi matin. Comme taille de créneau cela me semblait raisonnable, et puis difficile de répondre plus vite ! Je précisais bien que le vendredi je ne pouvais absolument pas. Dans la foulée, après avoir pris contact avec le journaliste, on me fixait rendez-vous à 10 heures, le jeudi matin. C'était donc parfait, j'avais même le temps de me préparer psychologiquement... Le Mercredi soir, vers 19h, le journaliste me proposait de m'appeler plutôt jeudi en milieu d'après-midi ou vendredi. Comme je ne pouvais pas lui parler le vendredi, je décidais de faire de la place parmi mes réunions du jeudi, à partir de 16 heures. Il me rappela pour me confirmer que 16h30 serait plus adapté. J'acceptais dérechef, en me disant que ce journaliste décidément était très occupé ! J'attendais le jeudi avec impatience.
- Alors, vous l'avez rencontré le journaliste, Père Costard ?
- Ah non, il n'avait pas le temps de se déplacer, bien sûr, alors on a fait ça par téléphone, c'est beaucoup plus rapide. J'ai commencé à attendre son appel vers 16h30 et il m'a appelé en s'excusant vers 17h00. J'étais très impressioné par une telle activité. Je devais avoir affaire à un pro. Mais, comme il ne connaissait rien au sujet, j'ai essayé d'être le plus clair possible, comme si je m'adressais à un public très général. Et il a été ravi. Il m'a annoncé qu'il allait me faire parvenir l'interview sous forme de trois questions auxquelles il allait répondre en utilisant les éléments que je lui avais donnés. Il a terminé par votre projet est très important, il faut faire un bon papier. J'étais ravi !
- Eh bien c'est vraiment rapide, alors, Père Costard !
- Oui, à peine un quart d'heure, et dès le lendemain matin je recevais son "papier". C'est là que j'ai commencé à déchanter un peu. D'abord, sur les trois questions, je n'en comprenais qu'une seule : j'aurais vraiment eu du mal à y répondre, s'il me les avait posées en direct. Pas que je sois idiot, mais c'était un peu comme la question de Coluche : "quelle est la différence entre un oiseau ? Est-ce un train ?"
Ensuite, ce qui m'a surpris, c'est que je retrouvais mes mots mais dans des phrases qui ne voulaient pas dire grand chose. En plus, pour qu'il comprenne bien certaines choses, je lui avais un peu caricaturé certains aspects en lui disant bien de ne pas répéter cela mot pour mot... et c'est exactement ce qu'il avait fait... Hum, j'étais un peu embarrassé, mais comme on m'avait dit que je pouvais modifier le texte, à condition que la contrainte des 1543 caractères soit préservée, et que je garde 3 questions pour la forme, je me suis dit qu'il fallait être bienveillant et je m'attelai à réparer les dégâts.
- Alors, vous avez renvoyé votre nouvelle version, Père Costard ?
- Eh bien j'ai pas eu le temps. À peine avais-je terminé d'écrire que le téléphone a sonné. La responsable de la Communication du Service me dit : bonjour, c'est Aline, cela va pas du tout ce papier du journaliste, je m'y attendais, il faut qu'on le réécrive tout de suite. Je lui dis alors que je l'avais modifié et je commençai à le lui lire au téléphone. Apparemment, elle devait faire la moue parce qu'elle me dit un truc comme : tu sais, ton projet est très important, il faut faire un bon papier. Donnons-nous rendez-vous et faisons-le ensemble. D'ailleurs le Chef y tient beaucoup. Ah, je me dis. C'est le Chef qui lui a donné la mission de réécrire le papier, pas la peine de combattre. Je vais plutôt l'aider à le faire.
Je la rejoins donc à 14h, dans son bureau. Là, elle me sort quelques documents très bien fichus qui parlent de choses qui ont un rapport avec mon projet. On décide alors de trois nouvelles questions, on y répond, et comme je suis particulièrement arrangeant, tout cela ne prend qu'une heure. Mais elle fait toutes les corrections au crayon sur le texte de départ. Elle a donc repris la propriété du texte et elle promet de me l'envoyer séance tenante après modifications.
En effet, à peine une heure plus tard, un super papier de 1543 caractères arrive dans mon dossier de courrier. Je le lis, je le trouve parfait, je le lui dis et je l'envoie, pour information au chef de mon service ainsi qu'à mon adjoint. Et je passe enfin à autre chose, me disant qu'Aline allait renvoyer le document au Service Général de la Communication, ce qu'elle fit peu de temps après, en me mettant en copie.
- Mais alors Père Costard, votre histoire est finie ?
- Ah non, les enfants, et vous allez voir pourquoi. En l'espace d'une heure, mon adjoint d'un côté et le chef de service viennent me voir pour m'expliquer : tu sais, ton projet est très important, il faut faire un bon papier.
Chaque fois, je les regarde un peu médusé, impressionné par l'importance de mon projet, et je prends des notes sur les modifications qu'ils proposent. Je rappelle Aline qui me dit : je m'en doutais, je t'ai laissé écrire cela et cela, mais je savais qu'il ne fallait pas le faire, d'ailleurs c'est pour ça qu'il faut laisser faire les spécialistes pour la communication. Ah bon, dis-je, ben je te laisse tout modifier, d'accord, parce que j'ai quelques vagues trucs à faire sur mon projet très important. Trois heures plus tard, alors que je suis rentré chez moi, je reçois sur mon Blackberry la dernière version du fameux papier. Je me dis d'abord : bon je ne la regarde même pas, je m'en fiche complètement, maintenant.
- Et c'est ce que vous avez fait Père Costard ?
- Non, bien sûr, j'ai fini par le regarder ce fichu texte, une dernière fois, et bien m'en a pris : sur la troisième ligne il y avait une coquille énorme dans le nom du projet !
- Et alors, vous lui avez dit, Père Costard ?
- Non, j'ai préféré changer le nom du projet, et personne ne s'en est jamais aperçu... et on ne m'a plus jamais rien demandé.